Une histoire fabuleuse et tragique

Le chant se termine. Soudain le silence s’impose dans cette grande église. Il envahi tout l’espace, du sol au plafond. Je sens la lourdeur de la solennité du moment. Tous ces gens sont là pour la même raison : l’union de deux personnes. C’est la raison qui m’a aussi amené en ce lieu. Aujourd’hui deux de mes amis se marient !

Il m’aura fallu une très bonne raison pour venir passer ma petite semaine de vacances en Vendée, terre paisible ou j’ai grandi. Non pas que je n’aime pas cet endroit. Bien au contraire. J’apprécie avec bonheur la qualité de vie que l’on a ici. Evidement, c’est plus facile de comparer lorsque comme moi, on vit toute l’année à Paris, enfermé toute la journée dans des bureaux, les yeux braqués sur un ordinateur. Cela fait maintenant quatre ans que je vis dans la grande métropole française. Curieusement, je reviens assez rarement ici, au grand dam de mes parents qui désespèrent de me voir plus de deux ou trois fois dans l’année. Cela fait longtemps que je n’ai pas pris plus d’un week-end pour eux, probablement des années. Mais c’est malheureusement une mauvaise habitude que j’ai prise lorsque j’ai emménagé dans la capitale et que je n’ai jamais perdue. Mes aléas professionnels et sentimentaux ne m’en ont pas non plus vraiment laissé le temps.

Je n’ai pas écouté le chant, je n’en ai même pas fredonné l’air comme je fais parfois. J’étais concentré sur le texte de la seconde lecture. Je l’ai lu et relu et relu encore. Si j’avais su ce qui m’attendait, j’aurai réfléchi à deux fois avant de venir à ce mariage. Non en fait, si j’avais su, j’aurais fait tout pareil, enfin je crois.

Quelle surprise il y a quelques mois quand j’ai reçu ce faire-part de mariage. Une belle enveloppe que j’ouvre rapidement. ; Le premier nom qui me saute aux yeux est celui de Sandra Sirgeais, une amie de longue date. Je vérifie, oui c’est bien un mariage, c’est à la Roche sur Yon en Vendée, sa ville natale. Pas de doute, c’est bien d’elle qu’il s’agit. Cela faisait au moins six ans que je n’avais plus échangé de nouvelle avec elle. En fait plus depuis qu’elle s’était séparée d’un de mes meilleurs amis de l’époque. C’est d’ailleurs ainsi que je l’avais connu il y a bien une dizaine d’années, lorsqu’elle avait commencé a sortir avec mon vieux copain Xavier. Depuis leur rupture, Ce dernier était parti vivre au Danemark. Je n’avais plus de lui que des nouvelles fragmentaires et épisodiques. Quand à Sandra, je n’avais plus aucun contact avec elle depuis lors. C’est dommage autant que stupide, car nous parlions beaucoup autrefois. Nous nous écrivions aussi assez souvent à une époque. Mais lorsque j’ai rencontré Carole et que nous sommes parti nous installer à Paris, j’ai laissé derrière moi tout mon passé de Vendée et avec lui tous ces gens qui en faisaient partie, en commençant par mes parents. J’ignore encore si c’est moi qui voulait commencer une nouvelle vie ou bien Carole qui avait réussi à me communiquer une part de son mépris de cette Vendée douce et tranquille qui brillait si peu à ses yeux comparativement à sa région parisienne natale, si vivante passionnante et dynamique.

Après avoir essayé vainement de me souvenir de la dernière occasion où j’avais vu Sandra pour la dernière fois, je regarde le nom du marié. On ne sait jamais, La Vendée est un microcosme où tout le monde connaît tout le monde. Si c’est un gars du coin, je le connais peut être. Il s’appelle Cavelier , Dominic Cavelier. C’est rigolo effectivement, j’avais autrefois un amis qui portait exactement le même nom. Mais c’est certainement pas lui, il est parti vivre du côté de Toulouse il y a au moins dix ans. C’est alors que me revient en tête un détail très ancien : Sandra et Dominic se connaissaient déjà avant qu’elle ne rencontre Xavier. Le doute commence à m’envahir. Je regarde l’adresse sur le faire-part.

C’est effectivement celle de Dominic à Toulouse. Le doute n’est plus permis. Je la connais bien. Je l’ai utilisé lorsque j’étais à l’armée pour me faire rembourser plus de kilomètres que prévu lorsque je descendais voir mes parents. Ces bien mon ami Dominic que je connais depuis au moins quinze ans qui va épouser mon amie Sandra que je connais certainement depuis dix ans. Sans nouvelle ni de l’un ni de l’autre pendant tant d’années, cela fait un choc tout de même. Je m’assois  pour réfléchir un instant, me remets debout et me sers un whisky. Sec comme d’habitude. Jamais de complément ni de glace dans le Jack. Je ne bois pas beaucoup, mais une fois de temps en temps je m’autorise ce petit plaisir qu’est un bon whisky. Jamais de grandes quantités, c’est juste pour ce goût si particulier de la première gorgée.

Dominic va épouser Sandra ! Et bien ça c’est un scoop ! Je n’ai aucune idée de la manière dont c’est arrivé mais les faits sont là ! Je me retrouve pour la première fois depuis des lustres, propulsé en arrière. A cette de vie de Vendée que j’ai laissé derrière moi et qui soudain me rattrape. Des souvenirs depuis longtemps effacés de ma mémoire resurgissent avec violence. Dominic et le club de jeux de rôles d’Olonne sur mer. Nos longues conversations qui pouvaient durer toute la nuit. Je n’étais alors qu’un adolescent. J’ai appris tant de choses avec lui. Dominic et son humour à double tranchant dont on ne sait jamais s’il plaisante ou bien s’il n’y a pas un sens caché. Quand à Sandra, sa famille, ses amis, tous ces moments passés avec Xavier ; tous ces mardi soir ou je passait chez eux pour prendre l’apéritif et où ils me gardaient souvent pour le dîner. Tout me revient. Le puzzle commence à reprendre forme. L’image se précise. Je me souviens de tout, vraiment de tout, c’est ça le problème !